Véronique Vienne


The Self-Taught Design Critic. [...]

Véronique Vienne was a magazine art director in the USA when she began to write to better analyze and understand the work of the graphic designers, illustrators and photographers who collaborated with her.

Today she writes books and conducts workshops on design criticism as a creative tool.

 

Voir, regarder, apprécier : tout un programme. [...]

Véronique Vienne a été directrice artistique aux USA avant de commencer a écrire pour mieux comprendre ce que faisaient les graphistes, illustrateurs et photographes avec qui elle collaborait.

Aujourd’hui elle écrit des livres et anime des sessions de travail sur la critique du design graphique comme outil de création.


Bruno Bressolin: Pas la peine de crier

La nostalgie du cinéma muet


Les grands dessins que nous propose Bruno Bressolin pour son exposition "Pas La peine de crier" sont des instantanés, aussi ambigus que le seraient des séquences d’images de vieux films d’actualités projetés sans le son.

Les hommes et les femmes qui habitent cet univers désuet ne sont pas de simples figurants. Ce sont des inventeurs, des soldats, des prisonniers de guerre, des explorateurs, des missionnaires, des agitateurs, des ministres ou des aviateurs. Comme saisis par la caméra dans le feu de l’action, ils donnent tous l’impression de participer à des évènements historiques. Leurs gestes et expressions sont improbables, leurs projets énigmatiques, mais ils semblent animés par l’importance de leur mission.

Non sans malice, Bressolin surimpose ici et là sur ses tableaux vivants des bribes de phrases qui, loin de donner la parole aux images, ne font que renforcer leur mutisme. Des légendes, délibérément déconcertantes, créent une impression de dépaysement semblable à celle que l’on peut ressentir quand on lit par erreur une lettre qui ne nous est pas adressée. Déchiffrer des messages cryptés, qu’ils soient visuels ou écrits, est pour Bressolin une méthodologie :

J’achète des photos anciennes pour la légende au dos, pas forcément pour l’image elle-même. Je collectionne aussi les vieux journaux pour leurs reportages décalés. J’aime la presse. Tous les matins de bonne heure je m’attable devant une pile de quotidiens et de revues. Le Courrier International, Libé, ou le Glamour que lisent mes filles. Et je découpe. Je découpe une toute petite photo, ou une pleine page, ou un titre. Après je les colle dans mes fameux cahiers. Avec des notes qui me passent par la tête. Ça devient matière à rêver. 

Pas la peine de crier reflète la passion de Bressolin pour les reportages photographiques du début du vingtième siècle, en particulier ceux publiés pendant la première guerre mondiale dans l’hebdomadaire L’illustration. Le contenu éditorial de cette revue de grand format était éclectique : les rubriques documentaient non seulement les exploits patriotiques des soldats, mais aussi les derniers événements culturels  et scientifiques. Comptes rendus de spectacles, découvertes et explorations géographiques côtoyaient les scènes de bataille, la vie de la caserne, ou les portraits officiels d’hommes politiques. Les photographes de l’époque composaient leurs clichés à la manière des peintres, contrôlant les effets de lumière, et travaillant leurs plans et arrière plans pour obtenir un corpus d’images et de représentations propice à nourrir l’imaginaire collectif.

Bressolin, qui sortait de sa « période Obama », avait envie d’exotisme, de couleurs vives, de fantaisie. Au lieu de peindre sur de la toile, il a adopté le carton dont la surface perméable et sensuelle absorbe les encres, fixe le trait et donne des résultats limpides dont la transparence rappelle celle des épreuves photographiques du début du siècle dernier:

La Grande Guerre, c’était aussi l’époque des colonies où tous les noirs étaient des bons nègres, où les hommes portaient des costumes noirs et les femmes des chapeaux à voilette. On croyait au progrès. Les inventions étaient plus incroyables les unes que les autres. Tout le monde s’y mettait : pendant le week-end les gens construisaient des avions, faisaient des expériences avec l’électricité, les techniques de reproduction, la botanique ou la photographie. Les journaux de vulgarisation s’en donnaient à cœur joie avec des sujets du genre : « la visite des souverains de Norvège aux Invalides », « l’incident meurtrier dans la piscine de Luna-Park », ou « la présentation de pachydermes au Président de la République. »

Bressolin admet qu’il s’approprie les images du passé et en mélange les codes.  Sa démarche n’est pas en soi originale. Qu’importe. Il reprend des bouts de phrases, les sort de leur contexte, cultive contresens et lapsus, et ne s’interdit aucune transgression ou jeu de mots, aussi politiquement incorrects soient-ils.

Oui, je triche, comme tout le monde dans la presse d’ailleurs. Je grossis certains détails et j’en élimine d’autres pour faire dire aux documents ce que j’ai envie de dire. Je photocopie en noir et blanc des originaux pour pouvoir les agrandir. Ce sont ces agrandissements qui me servent de référence pour mes dessins. Je les regarde, et ensuite, je les oublie.

Je travaille à plat, toujours sur le même support, un carton muséal qui sert en principe à protéger les peintures quand elles doivent être transportées. J’achète ces épaisses feuilles de carton au même fournisseur qui approvisionne le Louvre. Leur taille standard, un mètre par un mètre cinquante, me convient tout à fait. Elles sont ni trop grandes, ni trop petites.

Bien que figuratifs, les dessins de Bressolin tendent vers l’abstraction par le biais de l’absurde. Narratives à l’origine, ses mises en scènes, une fois traduites en généreuses taches d’encre fluides et ludiques, acquièrent un caractère subversif. Insolente est l’apparente facilité avec laquelle il esquisse gestes et silhouettes et évoque paysages et ambiances. La véracité ne semble pas l’intéresser, et pourtant ses photomontages, traités à grands coups de pinceaux, sont dépourvus d’hypocrisie.

Aujourd’hui, je fais ce que j’ai envie de faire. Je ne m’interdis plus rien. Je fais mes trucs. Je ne me force pas à faire moins grand ou plus compact. Les galeristes aimeraient bien que je réduise la taille de mes dessins, car ils seraient plus facile à vendre, mais je ne sais pas m’astreindre à travailler sur des petits formats.

J’essaie d’avoir une certaine honnêteté — le mot est con, merde. Disons que j’ai trop fait pour plaire dans le passé. Je ne le regrette pas. Mais bon. Voilà. 


1/12 - Certains mots devraient être dits. Bressolin écrit comme il dessine — sans interdit

1/12 - "Certains mots devraient être dits." Bressolin écrit comme il dessine — sans interdit

2/12 - Je suis mon propre paysage, note-t-il un matin dans son cahier.

2/12 - "Je suis mon propre paysage," note-t-il un matin dans son cahier.

3/12 - Art actuel, vide cruel. Ses commentaires sont interchangeables mais toujours vrais.

3/12 - "Art actuel, vide cruel." Ses commentaires sont interchangeables mais toujours vrais.

4/12 - L'ordre, c'est le désordre sans le pouvoir. Les mots de Bressolin cherchent leurs images.

4/12 - "L'ordre, c'est le désordre sans le pouvoir." Les mots de Bressolin cherchent leurs images.

5/12 - Tu vas faire ton deuil de ma vie. Il parle par aphorismes sans le savoir.

5/12 - "Tu vas faire ton deuil de ma vie." Il parle par aphorismes sans le savoir.

6/12 - Vivre heureux c'est prendre des risques. Ses formules donnent un sens à tout.

6/12 - "Vivre heureux c'est prendre des risques." Ses formules donnent un sens à tout.

7/12 - Confrontation d'arnarchistes à la frontière belge. Ses légendes sont des trouvailles.

7/12 - "Confrontation d'arnarchistes à la frontière belge." Ses légendes sont des trouvailles.

8/12 - Les suites de l'incident marocain. Il ne nous raconte jamais le début de l'histoire.

8/12 - "Les suites de l'incident marocain." Il ne nous raconte jamais le début de l'histoire.

9/12 - Ma douleur recouvre les étoiles. Bressolin aime la poésie des contresens.

9/12 - "Ma douleur recouvre les étoiles." Bressolin aime la poésie des contresens.

10/12 - Ayez l'audace de réussir. Comme Bressolin, on a tous la nostalgie des films muets.

10/12 - "Ayez l'audace de réussir." Comme Bressolin, on a tous la nostalgie des films muets.

11/12 - Il est dangereux de se rapporcher trop de soi-même.  Il donne la parole à l'imagination.

11/12 - "Il est dangereux de se rapporcher trop de soi-même." Il donne la parole à l'imagination.

12/12 - J'aimerais être à ma place pour m'aimer. Son travail est friand de mystère.

12/12 - "J'aimerais être à ma place pour m'aimer." Son travail est friand de mystère.